LA MÉDECINE THERMALE EN FRANCE

Elle se définit comme la mise en oeuvre, à des fins de thérapeutique médicale, de soins faisant appel aux eaux minérales, boues, gaz et vapeurs thermaux dans des établissements agréés et conventionnés avec l’assurance maladie et se trouvant sur le site de l’émergence des produits thermo-minéraux utilisés. Douze orientations sont retenues par l’assurance maladie (rhumatologie, voies respiratoires, phlébologie, voies digestives-métabolisme, affections urinaires-métabolisme, dermatologie, maladies cardio-artérielles, neurologie, affections psycho-somatiques, gynécologie, troubles du développement de l’enfant, affections des muqueuses buccales).

Les soins nomenclaturés et codifiés dans le cadre de la convention nationale sont délivrés dans les 110 établissements thermaux existant dans les 90 stations thermales actuellement exploitées et utilisant les ressources d’environ 300 sources d’eau minérale sur les 1 200 existant en France et reconnues par l’Académie Nationale de médecine. La cure thermale est prescrite par un médecin ; les soins thermaux sont prescrits par les 700 médecins thermaux. La charge pour l’assurance maladie est de 270 Millions d’euros par an (0.14 % de la dépense totale de santé). Environ 100 000 personnes ont un emploi directement ou indirectement lié à la médecine thermale. Les ressources générées par l’activité thermale, en termes de cotisations sociales ou de contributions fiscales est de 170 millions d’euros (d’après www. medecinethermale.fr).

Si la mission principale des cures thermales réside dans la prise en charge de nombreuses maladies chroniques pourvoyeuses de perte d’autonomie, les cures thermales s’inscrivent également dans une action de dépistage et représentent un moment facilitateur d’une démarche éducative (éducation à la santé et éducation thérapeutique).

LES EXPÉRIENCES DE LA MÉDECINE THERMALE UTILES DANS LES DOMAINES DU VIEILLISSEMENT

Les cures thermales à visée rhumatologique ont un impact sur les douleurs, la fonction en particulier de déambulation et la qualité de vie des curistes. L’efficacité en est durable puisque les études cliniques le montrent et que les enquêtes d’opinion le confirment en montrant qu’une majorité des curistes ont des effets durables (c’est-à-dire manifestes pendant plus de six mois) en termes de réduction de la douleur et de l’amélioration des capacités fonctionnelles (1). Les résultats sont superposables dans les études portant sur les cures thermales à visée vasculaire (2). Les cures à visée métabolique, complétées d’actions éducatives dans le domaine nutritionnel et de l’activité physique, ont la capacité de réduire significativement le poids, mais aussi de contrôler les paramètres définissant le syndrome métabolique (3). Les cures à visée psycho-somatique sont une arme efficace contre l’anxiété sévère et le burn-out. Une étude a démontré la supériorité du traitement thermal dans l’amélioration des symptômes du trouble d’anxiété généralisée. La qualité de vie observée chez les curistes suite au séjour en station thermale s’avérait significativement supérieure à celle des sujets du groupe témoin traités par Paroxétine, psychotrope de référence utilisé dans ce type de troubles (4). Dans ce domaine, les cures permettent également de mettre en oeuvre efficacement des actions de sevrage de benzodiazépines dont l’impact sur les chutes et la cognition est connu (Etude SPECTh).

À côté de ces approches générales, les établissements thermaux proposent depuis de nombreuses années des ateliers mémoire, équilibre, nutrition, activités physiques ; d’autre part l’Association Française pour la Recherche Thermale a financé plusieurs études dans le domaine gérontologique :

Étude de faisabilité d’une intervention multi-domaine destinée à prévenir le déclin cognitif coordonnée par le Pr B. Vellas (Gérontopole, Toulouse)

Cette étude s’est inspirée de l’étude MAPT (Multidomain Alzheimer Preventive Trial) qui vise à démontrer l’efficacité d’un programme d’intervention multidomaine associant des recommandations nutritionnelles, des exercices cognitifs et physiques, le dépistage de troubles sensoriels et la prise en charge des maladies cardiovasculaires, dans la prévention de la maladie d’Alzheimer. L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la faisabilité d’une intervention multidomaine en cure thermale, portant sur la prévention des troubles de la mémoire chez des personnes âgées fragiles de 70 ans et plus. L’objectif secondaire était d’évaluer la satisfaction des sujets et des professionnels du centre à la conduite de ce type d’intervention.

Cette étude a été réalisée dans trois centres de thermalisme du sud de la France (Capvern les bains – Bagnères de Bigorre-Barbotan) sur une période initiale de 3 mois (programme initial). L’intervention multidomaine a consisté en une consultation de promotion de la santé individualisée (fusionnée avec la consultation habituelle à l’entrée en cure) et des séances de formation et d’entraînement de 2 h dispensées durant 3 semaines en groupes de 8 personnes volontaires maximum (4 sessions/semaine). La durée du séjour en cure étant de 3 semaines, nous avons testé durant 3 mois la faisabilité de cette intervention chez 3 groupes différents dans chaque établissement (maximum 72 volontaires). Le programme étant jugé trop contraignant, le nombre de sessions a été réduit secondairement à 2 séances/semaine et l’étude a été poursuivie sur 3 mois supplémentaires (programme adapté) ; soit un maximum de 144 volontaires sur 6 mois. Les personnes pouvant participer à ce programme étaient âgées de 70 ans ou plus, ne présentant pas de démence et ayant un MMSE ≥ 24. Les critères de jugement retenus étaient : Le taux de participation : registre de tous les sujets à qui l’étude a été proposée et étude des raisons liées à l’acceptation du programme ou au refus d’y participer (enquête ACCEPT) ; Le nombre de sujets inclus ; L’observance aux différentes interventions proposées (après exclusion des arrêts prématurés) ; Le taux de sorties prématurées ; La satisfaction des curistes et des professionnels du centre de thermalisme (médecins et animateurs).

Un total de 125 curistes de 70 ans ou plus ont été repérés par l’animateur à l’entrée en cure pour être inclus sur les 144 prévus (86.8 %) dans le protocole et 45 ont été inclus. On peut donc raisonnablement en déduire que plus du tiers des curistes abordés s’estimaient concernés par le programme. L’âge moyen était de 75,3 ans et le MMSE moyen de 28.2. Sur ces 45 curistes, la majorité d’entre eux (91.3 %) ont accepté de remplir le questionnaire de l’enquête ACCEPT. L’allégement des séances lors du programme adapté a permis une réduction des arrêts prématurés (de 78.6 % en programme initial à 25.8 % en programme adapté) et une amélioration du niveau d’observance (de 86 % soit 10.3 séances sur 12 en moyenne à 96.7 % soit 5.8 séances sur 6 en moyenne). Tous les professionnels (médecins et animateurs) ont été satisfaits de l’intervention proposée et 80 % des curistes en ont été satisfaits à très satisfaits. Enfin, la majorité des curistes et professionnels ont été sensibles au fait que ce programme se déroule en cure thermale et étaient prêts à participer à un nouveau projet centré sur l’éducation de la santé en général.

Les résultats de cette étude sont encourageants. L’intervention multi-domaine s’est avérée faisable et serait ainsi susceptible de concerner 40 000 curistes chaque année mais pourrait également être proposée à des accompagnants, ainsi qu’à des résidents de proximité. Néanmoins, le programme malgré son adaptation reste contraignant et un certain nombre de nouvelles adaptations peuvent être proposées afin d’en améliorer les résultats: diminution de la durée des séances à 1 h 30 ; allégement de la consultation de prévention ; fusion de celle-ci avec la consultation habituelle de milieu de cure moins longue que la consultation d’entrée ; abaissement de l’âge d’inclusion à 65 ans afin de faciliter le recrutement. 

Étude de faisabilité d’une prise en charge en station thermale de l’aidant Alzheimer avec accueil potentiel du patient (Parenthèse) (Drs M et C. Tabone, Bagnères de Bigorre, Dr O. Dubois, Saujon)

Dans le cadre d’un séjour de répit mis à profit pour aider l’aidant (projet Parenthèse), l’intervention est basée i) sur les soins hydrothermaux à visée sédative et relaxante ou à visée tonifi ante, des entretiens individuels et des ateliers psycho-éducatifs (notamment éducation à la gestion des troubles du comportement pour l’aidant ; ii) sur une structure de prise en charge de jour pour le patient Alzheimer ; iii) sur une structure d’accueil adaptée pour le couple, lorsqu’il n’est pas possible de s’héberger en milieu ordinaire, en raison des exigences du patient Alzheimer.

L’étude TCap (Pr. Th. Paillard – UFR STAPS de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour)

Cette étude a évalué la faisabilité d’un programme d’activité physique adaptée, à caractère sanitaire, pour personnes âgées. Elle vise à identifier dans la cohorte enrôlée la capacité des personnes âgées à poursuivre l’activité physique recommandée par leur état. Le suivi à un an des patients est en cours.

 Étude de faisabilité en milieu thermal de la consultation de prévention des 70 ans (Pr Jeandel, Montpellier ; Dr Hanh, Paris)

Dans cette étude qualitative, observationnelle et multicentrique, 200 patients ont été inclus. Les données sont en cours de traitement. Le but est d’apprécier la faisabilité de cette démarche à travers la synergie des trois consultations médicales de la cure thermale et les ressources offertes par les personnels infirmiers des établissements thermaux. Par ailleurs, le chiffre de patients devrait permettre d’identifier les points d’intérêt appelant une éventuelle focalisation.

LES ATOUTS DE LA MÉDECINE THERMALE DANS LE DOMAINE DE LA FRAGILITÉ

Il s’agit d’abord de données épidémiologiques. La médecine thermale accueille chaque année un nombre très important de personnes : 550 000 curistes et environ 250 000 accompagnants ; il s’agit de personnes dont 65 % ont 60 ans et plus, 35 % 70 ans et plus (d’après www.medecinethermale.fr) ; ces constatations effectuées chez les curistes peuvent être transposées à la population d’accompagnant. Elle peut ainsi, potentiellement toucher environ 300 000 personnes de 70 ans et plus. De plus, les stations thermales accueillent en grande partie une population de classe sociale moyenne, souvent moins bien intégrée aux réseaux de soins habituels, et qui de fait échappe plus facilement aux messages et actions de santé publique.

La durée des soins et par conséquent du séjour est de trois semaines ; cette présence durable permet d’envisager de mettre en oeuvre des actions individuelles et/ou collectives et ce d’autant plus que les curistes sont le plus souvent dans une démarche active de santé et que les soins thermaux, le plus souvent délivrés dans la matinée, ménagent des périodes de temps libre utilisables à d’autres fins avec un accompagnement possible par des équipes pluridisciplinaires de professionnels de santé.

La médecine thermale possède une expérience clinique et éducative dans le domaine de la prise en charge de situations qui exposent ou bien favorisent la fragilité. Restaurer le confort musculo-squelettique et les capacités loco-motrices, améliorer les métabolismes et en particulier contrôler surpoids et obésité, renforcer les systèmes de défense de l’organisme (analgésique, anti-inflammatoire, anti-oxidatif, immunitaire, de lutte contre le stress), avoir la capacité de mettre en oeuvre des actions de dépistage et/ou d’éducation thérapeutique du patient sont des atouts incontestables et des outils utiles dans le dépistage, l’évaluation, la prise en charge du vieillissement et de la fragilité en particulier.

Tous ces éléments montrent bien que la place de la médecine thermale dans la prise en charge de la fragilité est à la fois légitime et pertinente.

PLACE POTENTIELLE DE LA MÉDECINE THERMALE DANS LA PRISE EN CHARGE DE LA FRAGILITÉ

En complémentarité des soins spécifiques, le thermalisme a pour vocation de proposer un environnement favorable à la sensibilisation, à l’éducation en santé et à la prévention (prévention des risques cardiovasculaires, sevrage médicamenteux, accompagnement du vieillissement, amélioration de la mobilité et des capacités physiques, éducation diététique, etc.). Ainsi de nombreux établissements thermaux organisent des interventions, des débats d’experts ou des programmes ciblés relatifs au comportement de santé et au mode de vie accessibles aux curistes sur leur temps libre. Ces efforts font partie de la démarche globale de prévention en santé, une mission essentielle que s’est assignée la médecine thermale forte de son expérience dans la prise en charge globale des patients. Cette démarche est particulièrement importante en ces temps d’optimisation des dépenses de santé.

Le rôle des stations thermales dans la prise en charge de la fragilité et la prévention de la dépendance pourrait s’articuler autour de 3 axes :

La détection par le dépistage systématique de la fragilité dans toutes les stations thermales à partir d’une grille aisément administrable sur le modèle de l’outil proposé par le Gérontopôle de Toulouse. Ce dépistage pourrait être réalisé lors de la consultation de début de cure par un professionnel de santé autre que le médecin (par exemple une infirmière) avec un compte rendu au médecin traitant.

L’évaluation des critères de fragilité comme réalisée actuellement sur l’hôpital de jour des fragilités et de prévention de la dépendance et nécessitant une plate-forme technique. Cette étape, plus complexe à mettre en oeuvre, pourrait être précédée d’une expérimentation en région Midi-Pyrénées qui associerait plusieurs stations thermales. Cette évaluation multidisciplinaire pourrait portée sur certains aspects essentiels de la fragilité notamment physique, nutritionnel et cognitif. La synthèse pourrait être effectuée par le médecin de la cure thermale et les résultats transmis au médecin traitant.

La conception d’une intervention avec proposition par les stations thermales de la prise en charge de différents critères de fragilité (physique, nutritionnel, cognitif, social…) à travers des prestations thermales et extra-thermales et notamment l’éducation thérapeutique, composante majeure de la médecine thermale. Cet axe devrait également faire l’objet d’une expérimentation pour permettre sa validation scientifique.

Cette démarche pourrait permettre à la médecine thermale d’acquérir de nouveaux champs de compétence et ainsi de proposer de nouveaux formats de cure spécifiquement orientés dans la prise en charge de la fragilité et la prévention de la dépendance.

 

  1. M. Secher (1), C.-F. Roques-Latrille(2), C.-E. Bouvier(3) (1) Praticien Hospitalier, CHU de Toulouse, Gérontopôle de Toulouse; 2. Professeur émérite de Médecine Physique & de Réadaptation, Université de Toulouse; Association Française Pour la Recherche Thermale, Paris; 3. Collèges économistes de la Santé, Conseil National des Établissements Thermaux, Paris. (Livre Blanc Repérage et maintien de l’autonomie des personnes âgées fragiles, 2015, 103-106) http://www.fragilite.org/livre-blanc.php

Références : (1) Forestier R, Desfour H, Tessier JM, Françon A, Foote AM, Genty C, Rolland C, Roques CF, Bosson JL. Spa therapy in the treatment of knee osteoarthritis : a large randomised multicentre trial. Ann Rheum Dis. 2010 Apr ; 69(4):660-5; (2) Carpentier PH, Blaise S, Satger B, Genty C, Rolland C, Roques C, Bosson JL. A multicenter randomized controlled trial evaluating balneotherapy in patients with advanced chronic venous insufficiency. J Vasc Surg. 2014 Feb ; 59(2):447-454; (3) Hanh T, Serog P, Fauconnier J, Batailler P, Mercier F, Roques CF, Blin P. One-year effectiveness of a 3-week balneotherapy program for the treatment of overweight or obesity. Evid Based Complement Alternat Med. 2012 ; 2012 :150 839 ; (4) Dubois O, Salamon R, Germain C, Poirier MF, Vaugeois C, Banwarth B, Mouaffak F, Galinowski A, Olié JP. Balneotherapy versus paroxetine in the treatment of generalized anxiety disorder. Complement Ther Med. 2010 Feb;18(1):1-7.